Le
philosophe de l'imagination qu'était Gaston Bachelard
nous a laissé dans ses ouvrages quelques pages superbes
sur l'importance de la maison dans notre imaginaire. Dans
La Terre et les rêveries du repos, c'est ce qu'il nomme
la " maison onirique ". Pour lui, une simple
maison est beaucoup plus qu'une construction purement fonctionnelle.
Elle nous invite aussi à rêver. Elle est un vecteur
de songes.
A
quoi servirait-il...de donner le plan de la chambre qui
fut vraiment ma chambre, de décrire la petite chambre au
fond d'un grenier, de dire que de la fenêtre, à travers
l'échancrure des toits, on voyait la colline. Moi seul,
dans mes souvenirs d'un autre siècle, peux ouvrir le placard
profond qui garde encore, pour moi seul, l'odeur unique, l'odeur
des raisins qui sèchent sur la claie. L'odeur du raisin!
Odeur limite, il faut beaucoup imaginer pour la sentir. Mais j'en
ai déjà trop dit.
(La Poétique de l'espace)
N'est-il
pas des enfants qui quittent le jeu pour aller s'ennuyer dans
un coin du grenier. Grenier de mes ennuis que de fois je
t'ai regretté quand la vie multiple me faisait perdre le
germe de toute liberté.
(La Poétique de la rêverie)
Au
grenier se vivent les heures de longue solitude, des heures
si diverses qui vont de la bouderie à la contemplation.
C'est au grenier qu'a lieu la bouderie absolue, la bouderie sans
témoin. (La
Terre et les rêveries du repos)
Par
le grenier, la maison prend une singulière hauteur,
elle participe à la vie aérienne des nids. (La Terre
et les rêveries du repos)
La maison natale est plus qu'un corps de logis, elle est un corps de songes. (La Poétique de l'espace)
...Qu'est-ce qu'il y a de plus réel : la maison même où l'on dort, ou bien la maison où, dormant, on va fidèlement rêver ? Je ne rêve pas à Paris, dans ce cube géométrique, dans cette alvéole de ciment, dans cette chambre aux volets de fer si hostiles à la matière nocturne. Quand les rêves me sont propices, je vais là-bas, dans une maison de Champagne ou dans quelques maisons où se condensent les mystères du bonheur. ( La terre et les rêveries du repos)
Quand
j'étais malade, mon père faisait du feu dans
ma chambre. Il apportait un très grand soin à
dresser les bûches sur le petit bois, à glisser entre
les chenêts la poignée de copeaux. Manquer un feu
eût été une insigne sottise. Je n'imaginais
pas que mon père pût avoir d'égal dans cette
fonction qu'il ne déléguait jamais à personne.
En fait, je ne crois pas avoir allumé un feu avant l'âge
de dix-huit ans. C'est seulement quand je vécus dans la
solitude que je fus le maître de ma cheminée. Mais
l'art de tisonner que j'avais appris de mon père m'est
resté comme une vanité. J'aimerais mieux, je crois,
manquer une leçon de philosophie que manquer mon feu du
matin
( La Psychanalyse du feu)
En somme, tout compte fait des expériences de la vie, des expériences écartelées, écartelantes, c'est bien plutôt devant mon papier blanc, devant la page blanche placée sur la table à la juste distance de ma lampe, que je suis vraiment à ma table d'existence (La Flamme d'une chandelle)
Je voudrais que chaque jour me tombent du ciel à pleine corbeille les livres qui disent la jeunesse des images. Ce voeu est naturel. Ce prodige est facile.Aussi, dès le matin, devant les livres accumulés sur ma table, au dieu de la lecture je fais ma prière de lecteur dévorant : "Donnez-nous aujourd'hui notre faim quotidienne..." Car, là-haut, au ciel, le paradis n'est-il pas une immense bibliothèque. (La Poétique de la rêverie)