L'OBJET EN POESIE AU 20ème SIECLE : lecture en dyptique de "Ode" (V. Larbaud) / extrait de " Prose du Transsibérien " (Cendrars)

train 

Texte 1 :
Ode
Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers l'Europe illuminée,
Ô train de luxe ! et l'angoissante musique
Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,
Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,
Dorment les millionnaires.
Je parcours en chantonnant tes couloirs
Et je suis ta course vers Vienne et Budapesth,
Mêlant ma voix à tes cent mille voix,
Ô Harmonika-Zug !
J'ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre,
Dans une cabine du Nord-Express, entre Wirballen et Pskow .
On glissait à travers des prairies où des bergers,
Au pied de groupes de grands arbres pareils à des collines,
Etaient vêtus de peaux de moutons crues et sales…
(huit heures du matin en automne, et la belle cantatrice
Aux yeux violets chantait dans la cabine à côté.)
Et vous, grandes places à travers lesquelles j'ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium ,
La Castille âpre et sans fleurs, et la mer de Marmara sous une pluie tiède !
Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn , prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d'or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses…
Ah ! il faut que ces bruits et que ce mouvement
Entrent dans mes poèmes […]
Valéry Larbaud, Poésies de A.O Barnabooth, 1913
 
Texte 2 :
Prose du transsibérien
Dédiée aux musiciens
[…]
" Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? "
Les inquiétudes
Oublie les inquiétudes
Toutes les gares lézardées obliques sur la route
Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent
Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente
Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie
S'enfuient
Et dans les trous,
Les roues vertigineuses les bouches les voix
Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
Les démons sont déchaînés
Ferrailles
Tout est un faux accord
Le broun-roun-roun des roues
Chocs
Rebondissements
Nous sommes un orage
Sous le crâne d'un sourd…
" Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? "
Mais oui, tu m'énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
La folie surchauffée beugle dans la locomotive
La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route
[…]
 
Blaise Cendrars, Du monde entier, 1912-1924

Compétence : confrontation de 2 poèmes évoquant le même objet
Préparation
1) Quel est le sens des titres ?
2) Relever dans chaque poème le système d'énonciation : qui parle ? A qui ?
3) Comparer les indices de lieu ?
4) Trouver le vers le plus long/le plus court
 
Introduction
Deux poèmes du XXè siècle contemporains l'un de l'autre, comme l'indiquent les dates dans le paratexte. Evocation d'un même objet : le train. Mais nous avons deux personnalités différentes et deux visions différentes. Valéry Larbaud, très fortuné, était un grand voyageur. Cendrars, grand voyageur lui aussi, évoque une fugue qu'il aurait faite à 16 ans, depuis Paris, en direction de la Russie puis de la Sibérie.
 
Ier axe : une esthétique de la modernité
 
IIème axe : deux atmosphères différentes
Enonciation :
Tonalités :
 
IIIème axe : le train, prétexte à la création poétique :
Dans les deux poèmes, l'évocation du train n'est qu'un point de départ. L'important, c'est de jouer avec le langage.
Rythme et sonorités :
Le rythme du train et sa musique deviennent peu à peu ceux du poème en train de se créer sous nos yeux.
CL de la musique : " cantatrice ", " voix de chanterelle ", " tes cent mille voix / Ô Harmonika-Zug "
Au v.31-32, le poème devient un art poétique : " Ah ! il faut que ces bruits et que ce mouvement/Entrent dans mes poèmes " ® la musique du train devient celle du poème lui-même.
Sorte d'enregistrement de bruits concrets qui l'entourent : poème-conversation avec pafois un style oral.
Aspect aussi de chanson : refrain avec les v.1/23
Conclusion :
Donc, deux poèmes d'une même époque évoquant un même objet. Mais deux sensibilités différentes, et deux esthétiques. Toutefois, le train est dans les deux cas le point de départ d'une authentique création poétique.
 
 
 
 
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