L'OBJET EN POESIE AU 20ème SIECLE : confrontation de quelques textes de Francis Ponge

 

Le cageot

A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.

(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942)

 

Le mimosa

Sur fond d'azur le voici, comme un personnage de la comédie italienne, avec un rien d'histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot, dans son costume à pois jaunes, le mimosa.
Mais ce n'est pas un arbuste lunaire : plutôt solaire, multisolaire…
Un caractère d'une naïve gloriole, vite découragé.
Chaque grain n'est aucunement lisse, mais formé de poils soyeux, un astre si l'on veut, étoilé au maximum.
Les feuilles ont l'air de grandes plumes, très légères et cependant très accablées d'elles-mêmes ; plus attendrissantes dès lors que d'autres palmes, par là aussi très distinguées. Et pourtant, il ya quelque chose actuellement vulgaire dans l'idée du mimosa ; c'est une fleur qui vient d'être vulgarisée.
… Comme dans tamaris il y a tamis, dans mimosa il y a mima.

F. Ponge, La Rage de l'expression, 1952

 

L'huître

L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942

 

Chardin, Verre d'eau et cafetière (détail)

Le verre d'eau

Le mot VERRE D'EAU serait en quelque sorte adéquat à l'objet qu'il désigne… Commençant par un V, finissant par un U, les deux seules lettres en forme de vase ou de verre. Par ailleurs, j'aime assez que dans VERRE, après la forme (donnée par V), soit donnée la matière par les deux syllabes ER RE, parfaitement symétriques comme si, placées de part et d'autre de la paroi du verre, l'une à l'intérieur, l'autre à l'extérieur, elles se reflétaient l'une en l'autre […]

(F. Ponge, Le Grand Recueil)

Préparation :

1) Classer les titres des textes du plus poétique au plus banal. Justifier.
2) Relever dans chaque texte le champ lexical du langage ou de la littérature.
3) A quel type de poème rattachez-vous ces textes ?
4) Relever les liens logiques.

compétence : confronter les textes
objectif : comprendre que la poésie est un travail sur le langage

Travail par groupes de 2 . Chaque groupe étudie un texte précis selon des consignes précises. Puis rapporteur.

textes

Système énonciatif

 Jeux de mots / jeux phoniques

Figures de style

 Le cageot

 - 3è pers : " il " = apparente objectivité du texte. Absence d'émotion.
Mais présence de :
- modalisateurs : " à coup sûr ", " moins encore ", " en somme ", " il convient "
- jugements de valeur : " sans vanité ", " denrées fondantes ", " des plus sympathiques " : présence discrète du poète, humour.

 " Cage / cageot / cachot " = Ponge fait de l'objet un mot-valise : humour dans la mesure où le cageot lui-même sert à transporter !
" au terme de son usage " : polysémie de terme = but + mot : " terme de son usage " ou " usage de son terme " ?
" sympathiques " : étymologie = souffrir avec : le poète prend parti pour le cageot
" s'appesantir " : s'appuyer sur un cageot n'est pas recommandé

Personnifications : " font […] une maladie ", " sans vanité ", " ahuri ", " pose maladroite ", " sympathiques " : le cageot est personnifié et le poète souffre avec lui

 Le mimosa

 - " le voici " : déictique = c'est le poète qui parle et désigne le mimosa.
- " si l'on veut " = le poète
- Nombreux modalisateurs : " un rien ", " plutôt ", " vite ", " aucunement ", " si l'on veut "
- Jugements de valeur : " saugrenu ", " naïve ", " découragé ", " lisse ", " soyeux ", " grandes ", " attendrissantes ", " distinguées etc.
Inscription très forte du poète dans son texte.

- Jeu de mots sur " mimosa " :
Mime/osa : le mot suggère le CL du comédien, du mime : " comédie italienne ", " histrionisme ", " Pierrot ", " costume à pois ", " étoilé "
Le mimosa peut se contracter, quand on le touche. Il semble grimacer, comme un mime. Il sait en effet jouer la comédie.
- Jeu aussi sur l'étymologie : " vulgaire/vulgarisée " : mimosa = nom vulgaire de la plante, alors que le nom savant est " acacia decurrens ".

 Importance de la métaphore filée du comédien : le mimosa est personnifié

 L'huître

 - Occurrences de " on " : valeur plus gle.
- Importance du présent gnomique, de vérité générale : " est ", " il faut ", " s'y coupent " : valeur de maxime
- Type injonctif : " il faut ", " se servir ", " s'y reprendre "

Importance du champ lexical du langage ou de l'écriture : " à proprement parler ", " une formule ", " gosier ", " perle ", " orner " (= ornements du style)
L'huître, d'apparence grossière (" rugueuse "), contient un monde riche, une " perle " : allégorie de la création poétique. L' huître = c'est un sapate
Le poème est comme l'huître : difficile à ouvrir, mais il contient une " perle "

 Synecdoque : " les doigts curieux " : renvoient à l'activité de l'homme
Personnification : " peu franc ", " leur gosier de nacre "

 Le verre d'eau

 - Présence nette de " je " :
" j'aime assez " : le poète apparaît de façon explicite.
- Modalisation : " serait " = conditionnel
Ceci implique le jugement du poète
- Modalisateurs : " en quelque sorte ", " assez ", " parfaitement ".

 Jeu sur la forme des lettres = calligramme
Ex : V, U, ER/RE,

L'évocation du verrre d'eau est un prétexte pour jouer avec le langage

 Parallélisme extérieur // intérieur

Métonymie contenu et contenant

Synthèse :

Chez Ponge, l'évocation de l'objet n'est qu'un prétexte à la création poétique. Il s'agit de jouer avec le langage (jeux de sens er de sonorités)
L'objet devient un " ob-jeu ".
Importance de l'humour chez Ponge.
De plus, l'objet, même le plus humble, contient tout un monde et souvent une richesse intérieure : c'est un sapate : objet banal, apparemment sans intérêt, mais qui contient quelque chose de précieux à l'intérieur (ex : un simple chocolat contenant une bague !) Ainsi l'huître, d' " apparence rugueuse ", contient une " perle ".
Le cageot, objet méprisable, contient des " denrées fondantes ou nuageuses ". Et son signifiant est riche en jeux de mots, jeux phoniques. Il contient en réalité tout un monde pour qui sait être à son écoute.

Débat :

- En argumentant, donne ton avis personnel sur les poèmes de Ponge

- Tous les objets ont-ils droit de cité en poésie ?