Lundi
30 juillet 2007 : Rättvik, Suède « We have a gig »
Au départ, notre voyage en juillet 2007 pour la
Suède avait un cadre purement familial : notre petit-fils étant
franco-suédois, nous nous devions de connaître ses racines maternelles. De là à
voir les Spotnicks at home… I have a dream…
La première étape fut donc, pendant quelques jours, la visite de Stockholm. Nous jouions les touristes : Gamla Stan, Södermalm où nous buvions au Musebacke, Skansen…Bref, la carte postale attendue. Il était prévu de nous rendre aussi un peu plus au nord, à Rättvik, berceau de la famille. Cette charmante ville borde le lac Siljan, formé dans le cratère creusé par une météorite tombée il y a 250 millions d’années. Mais l’ouverture annuelle de la « Classic Car Week » drainait déjà une foule nombreuse de fans de voitures de collection : les belles et spacieuses « américaines » Buick, Chrysler, Mustang envahissaient les rues de Rättvik. Une aubaine pour le commerce local !
C’est donc dans ce contexte des sixties que le 30 juillet 2007 eut lieu, au RättviksParken, un concert avec, comme invités d’honneur, les Spotnicks. Détail incompréhensible pour un Français, l’entrée est interdite « under 18 år » (aux moins de 18 ans) : mais nous sommes en Suède et il s’agit de prévenir tout risque de désordre provoqué par l’alcool. En première partie de soirée, nous pouvions écouter des airs de country dans la lignée de Johnny Cash. Mais c’est surtout un groupe de jeunes Suédois The Tributes devenus actuellement TT Grace (20 ans à peine de moyenne d’âge) qui fit un tabac en reprenant avec brio des rocks à la manière d’Elvis Presley ou Jerry Lee Lewis. Plus vrais que nature – avec sa banane, le chanteur est un compromis entre le grand Elvis et notre Dick Rivers national – ils se démenaient sur un rythme percutant sans se départir d’un humour évident, à la limite de l’auto-dérision. Sur la piste les danseurs semblaient eux aussi surgir des débuts du rock : jeans et chapeaux de cow-boys pour les hommes, robes rose bonbon pour les ladies.
Enfin l’heure des Spotnicks vint. Dès notre arrivée au début de la soirée, nous avions repéré les lieux de la future prestation : un grand amphithéâtre désert, plongé dans la semi-obsurité. Sur la scène était disposé tout le matériel du groupe : authentiques amplis à lampes d’époque, baffles et même la liste des chansons jonchant le sol (subrepticement, nous en prenons un cliché). Mon fils ironisait en me disant qu’il ne fallait pas m’attendre à Woodstock et qu’il y aurait peut-être peu de spectateurs ! Il avait parlé un peu trop vite. A 10 heures 45, la foule emplissait peu à peu les gradins du teaterscenen, l’atmosphère était soudain montée de quelques degrés. Bob Lander fit une rapide apparition sur scène pour un dernier réglage, suivi ensuite de Mister Bo Winberg qui déposa sa guitare. Puis ils s’éclipsèrent. Attente. Sifflets. Un représentant local des festivités à Rättvik annonça au micro (en suédois, mais mon autochtone belle-fille me traduisait) que le public devait patienter encore quelques minutes. Des spectateurs se pressaient encore à l’entrée pour voir les Spotnicks. C’est alors que je n’en crus pas mes yeux (et mes oreilles). Je pensais naïvement que les Suédois étaient un peuple calme, réservé. Mais un homme de l’assistance s’était levé et avait entonné un air suédois, repris en chœur par toute la foule qui chantait à gorge déployée, tandis que d’autres battaient des mains pour marquer le rythme.
La scène s’était maintenant illuminée. Bo, Bob, Stefan, Douglas et Fredrik prenaient place derrière leur instrument et rapidement la machine se mit en action : « Houston, we have a gig » (Houston, nous avons un concert). Les Spotnicks étaient à présent sur orbite. Les grands standards du groupe se succédèrent avec la même magie : « Moonshot, Jessica, Hey good locking, , Last date » ou quelques medleys. Il y a 250 millions d’années une météorite était tombée ici. Aujourd’hui les Spotnicks débarquaient à Rättvik, surgis d’un autre espace-temps. Pour le plaisir d’un public conquis d’avance. Bo Winberg a certes parfois un doigté plus hésitant qu’à ses débuts, mais on n’a pas le droit d’abattre les grands chênes, surtout quand ils sont légendaires. Bob Lander, toujours égal à lui-même, est solide comme un roc(k). Son attitude protectrice vis à vis de Bo est visible : tous deux sont les vieux compagnons que rien ne sépare. Old faithful. Stefan Ericsson, viking à l’attitude sérieuse et hiératique, balise le chemin avec sa basse. Quant au second leadguitar, Douglas, il fait plaisir à voir : ses improvisations époustouflantes sont à couper le souffle. Ne se prenant jamais au sérieux, il ponctue ses solos de rires ou mimiques propres à amuser la galerie. Quand Bo se lance dans une improvisation aléatoire, il esquisse quelques pas de danse ou jette son béret dans les airs. Enfin Fredrik, le batteur semble le plus jeune du groupe. Casquette vissée sur la tête, son jeu est efficace et propre. Lors de l’exécution de « Pony express », notre drummer, déchaîné comme un muppet, nous gratifia d’un magnifique solo de batterie.
« Amapola », repris en chœur par toute
l’assemblée, marquait la fin du show. Bo expliqua alors que son groupe n’allait
pas jouer aux grandes stars en quittant la scène. Que les musiciens
enchaîneraient directement avec les morceaux prévus pour le rappel. Ceux-ci
constituaient donc le point d’orgue et c’est sous un tonnerre
d’applaudissements que Bo, Bob, Stefan, Douglas et Fredrik quittérent la scène.
Mais mon fils et ma belle-fille me demandèrent
d’attendre patiemment. De fait, Bo revint sur scène. Ma belle-fille
m’encouragea à l’aborder (elle traduirait) : « Mister Bo Winberg
please » risquai-je timidement. Ce dernier se retourna. Ma belle-fille
l’aborda donc en suédois. Il me signa aussitôt de bon cœur un autographe. Je
lui expliquai que j’écoutais les Spotnicks depuis l’âge de 15 ans. Mon fils
renchérit en déclarant que toute son enfance avait été bercée par cette
musique. La réponse de Bo fut déconcertante : « Il y a des fous
partout ! ». Puis ce fut le tour de Bob Lander, chaleureux. Son
visage s’illumina quand je lui fis savoir que je connaissais le musicien
français Alain Goliot des Starsmen. Il m’expliqua qu’ils avaient joué avec ces
derniers à Nancy puis en Suède. Il semblait ravi ! Stefan Ericsson était
également heureux d’avoir des nouvelles d’Alain. Il me demanda de transmettre à
celui-ci et son groupe le bonjour des Spotnicks. Puis je fis connaissance de
Douglas, toujours aussi hilare puis Fredrik. Je sortis, comblé. I had a dream !
(Jacques
Mottier)
(merci à Greg, Britta et Erik pour leur complicité et à Kjell et Eva pour leur chaleureuse hospitalité durant ce long séjour en Suède. Merci aussi à Jean Bachèlerie d'avoir publié cet article dans Guitar § Drums n° 129 (p 9-11)