Compétence : analyser un poème de manière
méthodique
Problématique : comment l'écriture devient
elle-même objet ? Le poète explore le langage comme
un objet mystérieux que le lecteur doit décoder.
Introduction
Poème en vers libres écrit
par Jean Tardieu, fils d'un artiste-peintre et d'une musicienne
(sa mère était harpiste). Ainsi le titre de la section
" Poèmes pour la main droite " rappelle le "
concerto pour la main gauche " de Ravel ; et le titre "
Objets posés sur une table " évoque certains
titres de natures mortes en peinture : Chardin, Braque ou Picasso
(" Verre, bouteille et pipe sur une table ", "
Carte, verre, bouteille sur un guéridon, " Compotier
sur une table ", " Pain et compotier aux fruits sur
une table ")
La poésie est donc pour Tardieu un art de synthèse
réunissant musique et peinture : le poète est un
musicien du langage, mais n'oublie pas la dimension plastique
du texte : Tardieu a ainsi écrit des Poèmes à
voir
L'analyse suivra la progression du texte :
Ier axe : le poète, artisan du langage
Le titre " Outils posés
sur une table " annonce deux horizons d'attente :
1) On attend l'évocation d'un atelier. On pense à
une poésie simple, concrète : connotation prosaïque
du mot " outils "
2) Ce titre rappelle aussi des titres de " natures mortes
" et s'inscrit dans une tradition picturale.
Strophe 1
Ambiguïté des premiers
vers : " artisan, je les prends " : le poète
se présente comme un simple artisan du langage. Tradition
qui remonte à Boileau : " vingt fois sur le métier
remettez votre ouvrage ". Jean Tardieu utilise la stratégie
de la fausse piste.
Mise en scène de l'écriture : le poète s'adresse
à ses lecteurs et présente sa boîte à
outils : " mes outils ", " vous ", "
je les prends devant vous ".
Enumération des outils linguistiques qu'il utilise : "verbes,
adverbes, participes, pronoms, substantifs, adjectifs". Mais
paradoxalement, il ne mentionne pas ce qu'on appelle habituellement
les mots-outils : conjonctions de coordination, de subordination
Effet de sens : ce sera précisément au lecteur
d'assembler les mots du texte, de créer le sens.
Etude de la métaphore : " mes outils d'artisan "
= désigne les outils linguistiques utilisés par
le poète. Son travail sur les objets est d'abord un travail
sur le langage. L'atelier devient la page blanche où s'inscrit
le poème.
IIème axe : les pouvoirs du langage
Strophe 2
Après avoir précisé la nature des outils linguistiques utilisés, Tardieu définit dans cette strophe leurs fonctions :
" éloigner "
: ex : v.1 # v.2 : le poète crée une distance entre
le sujet "Mes outils d'artisan" et le verbe "sont"
rejeté au vers suivant. Le texte mime son propos.
" rapprocher " : v.5 et v.6 : suppression de la ponctuation
qui rapproche "verbes adverbes participes" (v.5) et
"Pronoms substantifs adjectifs" au v.6.
v.11 et 12 : construction en chiasme de ces deux vers:
Effet de symétrie inversée.
Là aussi, le poème mime le sens.
v.13 et suivants : le poète fait exister les objets en
les nommant. Il est le poète par excellence <poiein = créer d'après l'étymologie
grecque du verbe. Le poète est le créateur qui fait
surgir les objets en les nommant.
IIIè axe : la pirouette finale du poète
A la clausule (distique), nous
avons un changement de registre, une rupture de tonalité.
Celle-ci est plus fantaisiste et tranche avec la complexité
de la strophe précédente.
La fin du poème coïncide avec la fin du travail du
poète. Celui-ci pose ses outils. Nous avons ici une mise
en scène ludique de l'écriture. Le poète
ne se prend pas au sérieux.
" je les pose " fait écho à "
Outils posés " du titre
" je les (cod) pose ", " ils (sujet)
parlent tout seuls". Autonomie du texte poétique
Le poète se regarde écrire,
il prend du recul par rapport à son texte. Il se retire
sur la pointe des pieds : " je m'en vais "
Mais le texte continue à vivre grâce au pouvoir des
mots et grâce à la médiation du lecteur qui
les fait vivre
Conclusion
Glissement de l'évocation
de l'objet vers le langage lui-même. Ce dernier devient
l'objet sur lequel le poète médite. Evocation des
outils linguistiques utilisés par le poète. De plus,
Jean Follain insiste sur l'autonomie du poème qui continue
à vivre une fois créé.
Ceci rappelle l'anecdote racontée par Paul Valéry
dans Variétés : l'auteur se promène
dans la rue et un passant lui demande du feu. Il sort alors son
briquet, donne un peu de feu à son interlocuteur.
Mais reprenant sa route, la phrase " avez-vous du feu
? " continue de résonner en en lui ; et le mot feu
évoque alors d'autres feux (rôle des connotations).
Nous sommes là, dit Valéry, au bord de l'état
de poésie.