PHILIPPE DOUMENC, CONTRE-ENQUETE SUR LA MORT D'EMMA BOVARY


(Actes Sud)


Philippe Doumenc, Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary

Un polar insolent qui bouscule le chef-d'oeuvre de Flaubert



Et si Flaubert avait menti ? Si, au lieu de se suicider en absorbant de l’arsenic, Emma Bovary avait été assassinée. Certes l’auteur lui-même prétend le contraire : « Mais naturellement ma pauvre Bovary s’est bien empoisonnée elle-même. Tous ceux qui prétendront le contraire n’ont rien compris à son personnage ! » (lettre à George Sand)

Pourtant il est avéré que l’arsenic, en une seule prise, est rarement mortel. Partant de cette hypothèse, Philippe Doumenc se lance dans une contre-enquête débutant le lendemain de la mort d’Emma. Deux médecins ont été appelés d'urgence au chevet de la malheureuse femme pour lui administrer un contre-poison à l'arsenic qui, selon toutes les apparences, a causé les premiers spasmes : le docteur Larivière, « célèbre praticien de la faculté de médecine » de Rouen et son confrère le docteur Canivet, médecin de campagne à Yonville. L’abbé Bournisien appelé d’urgence ne changera rien au cours des événements. Madame Bovary décède dans d’atroces souffrances. Mais le docteur Larivière parle de traces de coups et révèle la confidence qu’Emma lui a faite : « pas suicidée, assassinée ». Aussitôt le permis d’inhumer est suspendu et une contre-enquête est ouverte. Elle est menée, à Yonville, par deux policiers de Rouen, le vieux commissaire Delévoye et le jeune débutant Remi. Elle se déroule au gré d'une autopsie puis de l'audition des suspects - un Charles Bovary accablé, le pharmacien Homais et sa femme, le prêteur sur gages Lheureux, l'amant cynique Rodolphe, le curé, le maire. Or les pressions de la hiérarchie ne se font pas attendre. Remi ne se résigne pas pour autant. En découvrant la vérité, il comprendra pourquoi tant de notables de la région avaient intérêt à la dissimuler.
Ce polar impertinent qui bouscule le chef-d’œuvre de Flaubert est d’une remarquable qualité d‘écriture. On sent que l’auteur prend du plaisir : ainsi aux obsèques d’Emma Bovary nous pouvons apercevoir, comme dans une construction en abyme, la présence de Flaubert lui-même : « La foule maintenant avait quitté l’église et marchait dans la neige. Des femmes en coiffe, des hommes en grosse blouse bleue et foulard rouge ou noir se joignaient au cortège. Le bedeau referma la porte, des chants s’élevèrent, la procession se dirigea vers le cimetière.
Un instant, au coin de la rue, vêtu d’une sorte de houppelande, un jeune homme passa, apparition assez splendide si l’on peut dire. Sa haute taille, ses yeux clairs, ses longues moustaches blondes évoquaient quelque passé de guerrier viking, un ancêtre de ces villageois de Basse-Normandie. D’où diable sortait ce personnage ?
« Qui est-ce ? demanda Rémi.

-          Jamais je ne l’ai vu, dit Tuvache.

-          Moi je sais qui c’est, fit Delévoye. C’est Gustave, l’un des deux fils du professeur Achille Flaubert, le professeur à la faculté de médecin de Rouen. Il se croit doué pour les gazettes, il veut écrire des romans, cette idée ! Que fait-il ici, est-il à la recherche d’un sujet ? »

 
Le jeune policier Rémi fréquentait le collège où Charles Bovary a fait ses études : « Pauvre Charles ! Soudain Rémi le revit tel que d’Herville et lui l’avaient connu au collège : sa silhouette grotesque et embarrassée,la grande casquette ridicule que lui avait confectionnée sa mère et qu’il ne quittait jamais même en classe, la timidité maladive qui lui faisait bredouiller son nom et le transformer en quelque chose d’inintelligible ressemblant à Charbovary. Que de moqueries ! Que d’injustices ! Et apprendre qu’ensuite le pauvre diable avait été cocu ! »

Tous les suspects seront interrogés, du maire de Yonville à la servante Félicité en passant par l’abbé Bournisien, le marchand L’Heureux, Homais le pharmacien, son épouse, Léon, Rodolphe, le percepteur et le notaire, le conducteur de diligence Hivert. Tous signeront leur déposition. Mais l’enquête piétine, car tous ont de solides alibis. Et surtout il est question d’une lettre écrite par Emma commençant par ces mots : « Qu’on n’accuse personne… » et où elle précise qu’elle a bien pris de l’arsenic.


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