S’inspirant de Hamlet
de Shakespeare, L’Embrume de Henri Viard et Bernard Zacharias passe du
théâtre au récit, sous forme de polar. Cependant, le roman garde ici des traces
de son genre originel :
Comme au théâtre nous est
donnée dès le début la liste des personnages. De plus, en exergue de chaque chapitre figure une
« citation » puisée dans la pièce. Et les auteurs utilisent le procédé
de la mise en abîme, du théâtre dans le théâtre comme on le trouvait dans Hamlet.
Le scénario
L’action est transposée du Danemark
en France à une époque contemporaine Trois ans après la noyade présumée de son
père Henri Elsen, Kiki (Henri Elsen
junior) réussit, après plusieurs stratagèmes, à ramener cette affaire à la
surface. Son oncle Claude Elsen (Claudius), lequel a épousé sa mère, devra
affronter avec son complice Pierre-Paul Pollon (Polonius) la savante vengeance
du fils.
Dans sa préparation de son triple meurtre, Kiki joue à cache-cache avec les
experts de la justice et ce jeu relève de son art. Cette métamorphose de Hamlet
en Kiki, selon un schéma policier, est certes une dévalorisation du personnage.
De même Horatio, confident chez Shakespeare, devient le Dr Laurat : l’ami
qui écoute, dans la pièce, est caricaturé en « psy » qu’il faut payer pour bénéficier de ses
services.
Remarquons la disparition du personnage de Fortinbras. Pourtant le chapitre
IX garde en exergue la citation : « O mort ! quelle fête dans
ton infernale demeure » Et l’arrière-plan historico-politique est devenu
un fait divers crapuleux dans la bourgeoisie française.
Par contre le procédé de la mise en abyme est gardé et renforcé :
méditant sur son projet de crime, Kiki est placé devant un miroir au chapitre
III et prétend agir en artiste et produire un crime parfait. Du grand art.
Il cite Gide, l’inventeur de la "mise en abyme" : « Je
vais être à Landru ce que Picasso est à Velasquez [...] Moi je
vais travailler en artiste, à la Sade, à la Byron, à la Gide." Kiki planifiera donc son crime en artiste et se regarde à distance.
Sommes-nous alors dans la parodie ou un règlement de compte ? Finalement, le lecteur lui-même aura du mal à décider, il sera lui aussi "embrumé" comme le dit un personnage dans les dernières lignes :
"- Oui, monsieur le Directeur, je suis fatigué, répondit Volmand. Je me sens même un peu embrumé à mon tour.
- Embrumé ? répéta le directeur sans comprendre."
Extrait
"- Maman, je crains que sous vos dehors de grande dame vous ne voyiez pas plus loin que votre futilité et votre égoïsme.
- Tu es venu pour m'injurier ?
- Je suis venu pour vous dire la vérité sur ce que vous avez fait.
- Et qu'est-ce que j'ai fait ?
- Vous avez provoqué la mort de mon père.
Gerty s'insurgea :
- C'est trop fort !
- Je vais vous
dire comment : il y a quatre ans vous êtes devenue la maîtresse
de votre beau-frère...
Elle cria :
-
C'est faux !
Kiki n'y prit pas garde. Il continua
:
- ... Vous savez bien que c'est vrai. Et votre
mari a tué mon père. C'est lui qui l'a noyé
dans le lac, je le sais. Il me l'a dit.
- Qui "il"
?
- Mon père. " On m'a tué mais
je ne suis pas mort ". Voila ce qu'il m'a dit.
-
Vous délirez !
- Méfiez-vous, maman.
On me croit fou parce que je joue au fou. Mais personne n'est
plus sensé que moi.
L'Embrumé, chapitre V