Pour apprécier tout
le sel de la chose, il faut savoir que celui qui signe ADG se
nomme en réalité Alain Fournier, le presque homonyme
de l'auteur du Grand Meaulnes, un roman qu'il prendra très
vite en grippe au point d'en écrire une parodie grinçante,
Le grand Môme sous forme de polar.
Le début du récit reprend en effet ironiquement
l'incipit du roman d'Alain-Fournier : " C'est parce que le
moteur de sa vieille Ami 6 avait craqué dans le milieu
de la côte qu'il est entré dans notre vie "
(" Il arriva chez nous un dimanche de novembre ")
L'action se déroule en Sologne : " Une douce brume
s'effilochait sur le fleuve qui semblait expirer de la buée.
Les peupliers des bords de Loire se prenaient pour les sentinelles
des anciennes lanternes qui guettaient les barbares remontant
le courant. "
Le héros se nomme comme il se doit Augustin : personnage
au " charme étrange ", mais qui évoque
plutôt " Prince Vaillant ", celui des " bandes
dessinées avec son profil anguleux " que le prince
charmant. Son étrangeté interpelle : " Je pense
à Augustin parce que le mystère de son existence,
de son voyage et de ses silences m'obsède. Qui est-il ?
Où va-t-il ? "
Aux bohémiens présents dans le Grand Meaulnes
se sont substitués de farouches manouches à
la mine patibulaire : " c'est un grand baraquement, genre
réfugiés provisoires, avec un toit de bois rafistolé
bâche goudronnée, flanqué d'une caravane sans
roues et d'un appentis construit de bric, de broc et de planches.
"
Le " Domaine mystérieux " du Grand Meaulnes
est bien loin. Dans Le grand Môme " jamais
de Domaine inconnu, mais des pièges à loups et des
cadavres de corbeaux. "
La femme aux cheveux blonds, mystérieuse, qui fera la rencontre
d'Augustin se nomme Nathalie : " Nathalie était assise
sur une maie et donnait à manger à la petite fille.
Elle inclina la tête vers moi et regarda Augustin, gravement.
" Elle mourra tragiquement et Augustin restera avec l'enfant
: " Augustin revint vers nous, se pencha sur sa fille et
l'embrassa sur les lèvres. La gosse se mit à rire
et lui envoya une petite claque sur le nez. "
Et puis il y a François, Ganache, le " Cercle ",
" le cahier " d'Augustin, son " secret ",
un peu comme dans le roman d'Alain-Fournier : " Que cherche-t-il
? La mère de la petite ? Un ami ou un ennemi ? Un trésor
enfoui et très ancien ? Il faudrait lui poser la question,
mais qui l'oserait ? ".
Et bien sûr il y a l'automne avec ses feuilles qui ne sont
pas les seules à mourir : " J'aimerais qu'il neige
pour définitivement assassiner l'automne, cette saloperie
de saison à spline qui chavire la tête des jeunes
gens, leur fait rêver Dieu sait quoi en se lamentant "
Mais Le grand Môme n'emprunte guère le registre
lyrique, loin s'en faut ! Les scènes triviales, les coups
bas, le personnage nommé " Machin ", l'argot
sont plutôt un pied de nez au romantisme d'Alain-Fournier
: c'est ici Le grand Meaulnes de la boue !
Avec ce polar, ADG va donc rompre le cou au fantôme d'Alain-Fournier. L'auteur, on le sait, a été souvent discrédité pour ses idées politiques d'extrême droite peu louables, mais la lecture du Grand Môme reste une parodie cruelle qu'il faut connaître. A lire même si on n'apprécie que modérément les " fachos " !
Au cinéma, Le grand Môme
a donné lieu à un film TV réalisé
par Jacques Ertaud avec Laurent Gendron, Alexandra Lorska et Paul
Leski