Michel Lebrun a été
surnommé le " Pape du polar " et sait manier
l'humour. Avec Loubard et Pécuchet, l'auteur fait
malicieusement référence au roman de Flaubert, Bouvard
et Pécuchet. Pourtant le scénario n'est pas
le même. L'auteur procède plutôt par clins
d'œil :
Le héros (ou plutôt anti-héros) se nomme Victor
Pécuchet, mais on le surnomme Pécu : c'est un esprit
romanesque qui a beaucoup lu : Les Pieds-Nickelés, Rimbaud,
Zola mais aussi Flaubert, et il rêve de rencontrer son Bouvard,
comme dans la fiction Bouvard et Pécuchet : "
[…] Pécu se récite mentalement le début
du roman. Jadis, encore gamin, il avait entrepris d'apprendre
ce gros livre dont un Pécuchet comme lui est le héros,
mais il n'a jamais été capable d'en retenir plus
de deux pages. Ce sont les plus belles : " L'un venait de
la Bastille, l'autre du jardin des Plantes. " Chacun a son
nom écrit à l'intérieur de son chapeau. Ils
font connaissance sur un banc et décident d'unir leurs
destinées.
Pécu sourit et soupire. Au cours de ses pérégrinations,
il a fréquemment tenté de se lier avec un Bouvard,
mais tous ceux qu'il a rencontrés (Bouvard est un nom beaucoup
plus répandu que Pécuchet) l'ont déçu
ou n'ont pas répondu à ses avances. C'était
un fantasme de gamin, que de vouloir reproduire dans la réalité
une situation romanesque. "
Autre coïncidence : Bouvard et Pécuchet étaient
" copistes ". Or le héros de Michel Lebrun a
été " imprimeur " !
Chez Flaubert, la rencontre entre Bouvard et Pécuchet avait
lieu dès le début et les deux amis allaient lier
leurs destinées. Dans le polar de Michel Lebrun, il faut
attendre davantage. Mais à lui tout seul, Pecuchet est
déjà placé sous le signe de la dualité
: parce qu'il a eu la mauvaise idée de naître un
29 février d'une année bissextile, il n'a son anniversaire
que tous les quatre ans. Il est donc à la fois officiellement
un jeune homme de 17 ans et un vieillard. Et en loubard de banlieue,
ce petit gangster minable vit de menus larcins : " sur son
vélomoteur il sillonne Paris " et s'attaque à
des malchanceux qu'il détrousse devant des distributeurs
de billets.
Pecuchet envisage alors une action vers une petite banque du boulevard
Bourdon ! Et le héros se réfère à
son auteur favori : " Dans son livre, Flaubert décrit
l'endroit en ces termes : " Comme il faisait une chaleur
de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument
désert " ; jusqu'ici tout concorde, à la température
près. " Plus bas, le canal Saint-Martin, fermé
par les deux écluses, étalait en ligne droite son
eau couleur d'encre. Il y avait au milieu un bateau plein de bois,
et sur la berge deux rangs de barriques. " Ni bateau, ni
bois, ni barriques, mais l'eau du canal, à la lueur des
réverbères, ne reflète que du noir ; quel
talent, ce Flaubert ! "
C'est alors que s'opère une rencontre salvatrice qui va
transformer sa vie, mais c'est à une drôle de femme
qu'il va lier sa destinée : " C'est alors qu'il rencontre
Hélène, et que la poisse va abattre sur lui ses
serres crochues de Baron Noir ". Et le chapitre suivant cite
en exergue Flaubert : " Des jours tristes commencèrent
" (Bouvard et Pécuchet). Il faut dire qu'Hélène
présente toutes les apparences d'un " mec " :
" Dans la cinquantaine, pourvue d'un soupçon de moustache,
elle est bâtie comme un grenadier poméranien "
:
" - Appelez-moi Hélène.
Vous, c'est quoi, votre nom ?
- Pécuchet, mais on m'appelle Pécu.
- Comme dans le roman ! s'exclame-t-elle en brûlant un feu
rouge.
- Vous l'avez lu ?
- Et comment. J'adore Flaubert. C'est un de mes écrivains
préférés […] "
L'association de Pecuchet et Hélène sera un peu
celle de Bouvard et Pecuchet dans la fiction ou de Bonnie et Clyde
: bref, une association de malfaiteurs, dans laquelle Pecu va
découvrir son maître. Car Pecuchet n'est qu'un voleur
à la petite semaine qui commet des maladresses. Ainsi il
oublie sur le lieu de son forfait sa casquette. Autre motif flaubertien
que le héros va évoquer plus tard : " Il blêmit
: son nom, Pécuchet, ne l'a-t-il pas inscrit à l'intérieur
de sa coiffe, comme dans le roman de Flaubert ? "
Au contraire Hélène aura des visées beaucoup
plus ambitieuses… La bêtise n'est pas son fort…
Michel Lebrun fait également allusion au " dictionnaire
des idées reçues " qu'on trouve vers la fin
de Bouvard et Pécuchet :
" - Oh on voit bien que vous n'aimez pas les bêtes,
et qui n'aime pas les bêtes…
- … n'aime pas les gens, je connais comme vous les idées
reçues. "
Michel Lebrun, Loubard et Pecuchet