MICHEL LEBRUN, LOUBARD ET PECUCHET


(série noire n° 2415)
 

Le Flaubert de Bouvard et Pecuchet dévoyé




Michel Lebrun a été surnommé le " Pape du polar " et sait manier l'humour. Avec Loubard et Pécuchet, l'auteur fait malicieusement référence au roman de Flaubert, Bouvard et Pécuchet. Pourtant le scénario n'est pas le même. L'auteur procède plutôt par clins d'œil :
Le héros (ou plutôt anti-héros) se nomme Victor Pécuchet, mais on le surnomme Pécu : c'est un esprit romanesque qui a beaucoup lu : Les Pieds-Nickelés, Rimbaud, Zola mais aussi Flaubert, et il rêve de rencontrer son Bouvard, comme dans la fiction Bouvard et Pécuchet : " […] Pécu se récite mentalement le début du roman. Jadis, encore gamin, il avait entrepris d'apprendre ce gros livre dont un Pécuchet comme lui est le héros, mais il n'a jamais été capable d'en retenir plus de deux pages. Ce sont les plus belles : " L'un venait de la Bastille, l'autre du jardin des Plantes. " Chacun a son nom écrit à l'intérieur de son chapeau. Ils font connaissance sur un banc et décident d'unir leurs destinées.

Pécu sourit et soupire. Au cours de ses pérégrinations, il a fréquemment tenté de se lier avec un Bouvard, mais tous ceux qu'il a rencontrés (Bouvard est un nom beaucoup plus répandu que Pécuchet) l'ont déçu ou n'ont pas répondu à ses avances. C'était un fantasme de gamin, que de vouloir reproduire dans la réalité une situation romanesque. "
Autre coïncidence : Bouvard et Pécuchet étaient " copistes ". Or le héros de Michel Lebrun a été " imprimeur " !
Chez Flaubert, la rencontre entre Bouvard et Pécuchet avait lieu dès le début et les deux amis allaient lier leurs destinées. Dans le polar de Michel Lebrun, il faut attendre davantage. Mais à lui tout seul, Pecuchet est déjà placé sous le signe de la dualité : parce qu'il a eu la mauvaise idée de naître un 29 février d'une année bissextile, il n'a son anniversaire que tous les quatre ans. Il est donc à la fois officiellement un jeune homme de 17 ans et un vieillard. Et en loubard de banlieue, ce petit gangster minable vit de menus larcins : " sur son vélomoteur il sillonne Paris " et s'attaque à des malchanceux qu'il détrousse devant des distributeurs de billets.
Pecuchet envisage alors une action vers une petite banque du boulevard Bourdon ! Et le héros se réfère à son auteur favori : " Dans son livre, Flaubert décrit l'endroit en ces termes : " Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert " ; jusqu'ici tout concorde, à la température près. " Plus bas, le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses, étalait en ligne droite son eau couleur d'encre. Il y avait au milieu un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques. " Ni bateau, ni bois, ni barriques, mais l'eau du canal, à la lueur des réverbères, ne reflète que du noir ; quel talent, ce Flaubert ! "

C'est alors que s'opère une rencontre salvatrice qui va transformer sa vie, mais c'est à une drôle de femme qu'il va lier sa destinée : " C'est alors qu'il rencontre Hélène, et que la poisse va abattre sur lui ses serres crochues de Baron Noir ". Et le chapitre suivant cite en exergue Flaubert : " Des jours tristes commencèrent " (Bouvard et Pécuchet). Il faut dire qu'Hélène présente toutes les apparences d'un " mec " : " Dans la cinquantaine, pourvue d'un soupçon de moustache, elle est bâtie comme un grenadier poméranien " :
" - Appelez-moi Hélène. Vous, c'est quoi, votre nom ?
- Pécuchet, mais on m'appelle Pécu.
- Comme dans le roman ! s'exclame-t-elle en brûlant un feu rouge.
- Vous l'avez lu ?
- Et comment. J'adore Flaubert. C'est un de mes écrivains préférés […] "
L'association de Pecuchet et Hélène sera un peu celle de Bouvard et Pecuchet dans la fiction ou de Bonnie et Clyde : bref, une association de malfaiteurs, dans laquelle Pecu va découvrir son maître. Car Pecuchet n'est qu'un voleur à la petite semaine qui commet des maladresses. Ainsi il oublie sur le lieu de son forfait sa casquette. Autre motif flaubertien que le héros va évoquer plus tard : " Il blêmit : son nom, Pécuchet, ne l'a-t-il pas inscrit à l'intérieur de sa coiffe, comme dans le roman de Flaubert ? "
Au contraire Hélène aura des visées beaucoup plus ambitieuses… La bêtise n'est pas son fort…
Michel Lebrun fait également allusion au " dictionnaire des idées reçues " qu'on trouve vers la fin de Bouvard et Pécuchet :
" - Oh on voit bien que vous n'aimez pas les bêtes, et qui n'aime pas les bêtes…
- … n'aime pas les gens, je connais comme vous les idées reçues. "

 

Michel Lebrun, Loubard et Pecuchet


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