Estelle Monbrun, Meurtre chez Tante Leonie

(Edition Viviane Hamy)


Quand l'oeuvre de Marcel Proust incite au crime


Meurtre chez Tante Leonie


Ecrit par une universitaire spécialiste de Proust, ce roman situe son intrigue dans la maison de tante Leonie où le narrateur d'A la Recherche du Temps Perdu passait ses vacances d'enfant. La veille d'un colloque qui doit réunir des chercheurs mondiaux, la présidente de l'américaine Proust Association, Madame Bertrand-Verdon, est retrouvée assassinée. Cest Emilienne, la femme de ménage, qui fait la " macabre découverte ". Dans son affolement, elle la confond d'ailleurs au début avec la secrétaire de l'association, Gisèle Dambert.
C'est  le commissaire Foucheroux et l'inspecteur Leila Djemani qui mènent l'enquête et interrogeront toutes les personnes proches d'Adeline Bertrand-Verdon : Gisèle Dambert, sa secrétaire : "Gisèle ouvrit au hasard la dernière édition du Temps retrouvé et lut : " Il était triste pour moi de penser que mon amour auquel j'avais tant tenu, serait dans mon livre, si dégagé d'un être que des lecteurs divers l'appliqueraient exactement à ce qu'ils avaient éprouvé pour d'autres..."
Le lecteur est invité à visiter la maison où Proust vécut : " Avant de quitter la Maison redevenue silencieuse, Jean-Pierre Foucheroux visita la chambre où Marcel Proust avait dormi enfant, s'efforçant en vain de réconcilier les fragments éblouis de sa récente lecture de Du côté de chez Swann avec la mesquine réalité du lieu où il se trouvait. Quelle déception ! Tout était plus petit, la lanterne magique un pauvre objet cabossé, les rideaux défraîchis, le lit coincé dans une alcôve sans charme. Ayant traversé le couloir, il ne put davantage faire coïncider ses images mentales de la chambre de Tante Léonie avec ce qu'il avait devant les yeux "
Des universitaires, comme le professeur Verdaillan, sont aussi auditionnés : il connaissait bien la présidente de la Proust Association qu'il a consultée au sujet d'une édition des Oeuvres complètes de Proust qu'il comptait publier :
" - Non, cher ami, non. Il vous manque... Son regard noisette s'alluma d'une lueur sardonique. Il vous manque quinze cahiers. [...]
- Comme à tout le monde si vous parlez des quinze cahiers brûlés par Céleste Albaret sur les ordres de notre grand auteur [...]
- Supposez qu'une proustienne plus aventureuse que vous les ait retrouvés, récemment, dans une collection privée..."
D'autres habitués sont interrogés : Patrick Rainsford, " homologue américain du professeur Verdaillan, en plus jeune ". Et, chemin faisant, la romancière se livre à quelques caricatures du milieu universitaire : ainsi le professeur Rainsford " avait publié, il y a dix ans, en guise de thèse un petit volume plaisamment intitulé Critique de la Critique des nouvelles critiques puis avait " instauré la méthode pédago-activo-informatique en première année " et " fait venir une structuraliste, un marxiste, un déconstructionniste et une féministe " ; [...] il lui fallait maintenant et d'urgence un généticien de renom pour son Centre des Manuscrits Postmodernes. Et la Légion d'Honneur."
En toile de fond se profile le village de Combray : " Construit en cercles concentriques à partir de l'église, le village était tout entier contenu entre la voie ferrée et la rivière, tassé sur lui-même, chque maison protégeant sa voisine depuis des générations. [...] Gisèle prit une ruelle qui coupait en droit fil les couches successives. Des fragments de texte flottaient dans son esprit : "on dirait de grandes fentes qui coupent si bien la ville en quartiers qu'elle est comme une brioche dont les morceaux tiennent ensemble mais sont déjà découpés. "
Quant à la personnalité de la victime, Adeline Bertrand-Verdon, elle est assez complexe : cette femme ne laisse pas indifférent et le fait qu'elle n'ait  " hésité sur aucune transgression " pour faire partie du  "cercle magique " ne lui a pas attiré que des amis : "on l'aimait ou on la détestait mais il n'y avait pas de demi-mesure "
Très bien rédigée et sans prétention, cette " escapade du côté du roman noir " vaut le détour et tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière page.

Serie noire

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