Voici le seul portrait d'homme, peint exactement d'après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais. Qui que vous soyez, que ma destinée ou ma confiance ont fait l'arbitre du sort de ce cahier, je vous conjure par mes malheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l'espèce humaine, de ne pas anéantir un ouvrage unique et utile, lequel peut servir de première pièce de comparaison pour l'étude des hommes, qui certainement est encore à commencer, et de ne pas ôter à l'honneur de ma mémoire le seul monument sûr de mon caractère qui n'ait pas été défiguré par mes ennemis. Enfin, fussiez-vous, vous-même, un de ces ennemis implacables, cessez de l'être envers ma cendre, et ne portez pas votre cruelle injustice jusqu'au temps où ni vous ni moi ne vivrons plus, afin que vous puissiez vous rendre au moins une fois le noble témoignage d'avoir été généreux et bon quand vous pouviez être malfaiteur et vindicatif : si tant est que le mal qui s'adresse à un homme qui n'en a jamais fait ou voulu faire, puisse porter le nom de vengeance
J-J Rousseau
Je forme une entreprise qui n'eut
jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur.
Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la
vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cur et je connais les hommes. Je ne
suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être
fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux,
au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser
le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne
peut juger qu'après m'avoir lu.
Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra,
je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant
le souverain juge. Je dirai hautement : " Voilà ce
que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit
le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu
de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé
d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais
été que pour remplir un vide occasionné par
mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer vrai ce
que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être
faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable
et vil quand je l'ai été, bon, généreux,
sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé
mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Etre éternel,
rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables
; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent
de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères.
Que chacun d'eux découvre à son tour son cur
aux pieds de ton trône avec la même sincérité
; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : " Je fus meilleur
que cet homme-là."
Les Confessions, Livre I
Chez Rousseau, on ne peut pas
séparer lhomme / loeuvre : il a voulu
mettre en effet sa vie en conformité avec ses écrits.
Quelques aspects
importants
à retenir :
- Cest un marginal : il est à contre-courant
des idées développées par les autres philosophes
du XVIIIème siècle. Il conteste la notion de progrès
et de civilisation. Jeunesse instable : né à
Genève en 1712, il fuit la ville en 1728 et vagabonde à
pied entre la Suisse, la France et lItalie. Divers métiers :
laquais, maître de musique, secrétaire. Quelques
périodes de stabilité : à Annecy auprès
de Mme de Warens, puis à Chambéry (Les Charmettes)
- Cest un autodidacte : études
décousues. Il se passionne très vite pour la lecture.
Il apprend un peu de latin. Il sintéresse à
la musique, la botanique.
- Il a des ambitions artistiques
: en 1742, à Paris, il
propose un nouveau système de notation musicale : échec.
Il rencontre Diderot et écrit pour " lEncyclopédie "
des articles sur la musique. Il compose un intermède musical
" Le Devin du village " : un certain succès.
En 1749 : rendant visite à
Diderot emprisonné à Vincennes, il lit dans un journal
le sujet proposé par lAcadémie de Dijon :
" Si le progrès des sciences et des arts a contribué
à corrompre ou à épurer les moeurs ? "
: " illumination " soudaine : Discours
sur les sciences et les arts : il soutient la
thèse que le progrès na apporté que
le malheur aux hommes. Obtient le 1er prix. Il devient célèbre,
mais cest un succès de scandale. Il contredit en
effet lopinion du siècle des Lumières. Dans
son 2ème Discours (Discours sur lorigine de linégalité),
il soutient que lhomme est naturellement bon et que cest
la société qui le corrompt.
-
Il veut mettre
sa vie en conformité avec son oeuvre : à partir de 1751, il se tient à
distance de la société. Refuse dêtre
présenté au roi et de recevoir une pension. Il exerce
un métier médiocre (il copie des partitions de musique).
Il vit pauvrement et il vit depuis 1745 avec une femme du peuple,
sans instruction : Thérèse Levasseur, servante
dauberge. Il a cinq enfants quil abandonne aux Enfants-Trouvés.
- Il pense être victime
dun complot :
Ce nest pas en fait une légende ! Son essai
politique Le Contrat social (1762) et son ouvrage de pédagogie
LEmile(1762) sont condamnés par le Parlement.
Rousseau est poursuivi et senfuit en Suisse, en Angleterre.
Il est attaqué par les philosophes (Voltaire, Diderot,
les encyclopédistes). Un tract anonyme dévoile au
public labandon de ses enfants (lauteur est Voltaire).
On le traite de fou, de menteur. Cest
dans ce contexte de crise que Rousseau décide décrire
Les Confessions pour se justifier auprès
de ses contemporains.(oeuvre écrite de 1765
à 1770)
1772-76 : il écrit Les
Dialogues pour se justifier devant la postérité
: il veut apporter le manuscrit sur lautel de Notre-Dame
de Paris, mais grilles fermées. Il y voit un signe du destin !
(comme lorsquil avait trouvé les portes de Genève
fermées !)
1776-78 : il rédige
Les Rêveries du promeneur solitaire, pour se justifier
devant Dieu. Il meurt le 2 juillet 1778 à Ermenonville.
Conclusion
Le titre " Les Confessions " a une connotation morale et religieuse. Se confesser, cest avouer ses péchés, ses fautes.